La sonnerie du réveil retentit dans l'appartement. Dix heures trente, affichait-il. Nous étions un mardi, Landon était de service. Son métier consistait à bricoler avec les différentes parties d'un véhicule pour les remettre en état de marche. En effet, il était réparateur d'automobiles, autrement dit, garagiste. Ainsi, le jeune homme se bougea, tant bien que mal, de son lit. Travaillant à mi-temps, il était habitué à faire la grasse matinée. « Putain de travail de merde ! », ronchonna-t-il. Il se dirigea donc vers la salle de bains et, accoutumé à dormir nu, entra directement dans la douche. Le jeune homme habitait un petit appartement seul. Landon avait toujours rêvé de prendre son indépendance très jeune. Malgré la désapprobation de sa mère, il mit un terme à l'école à seize ans et s'engagea à travailler. Seulement monsieur était fainéant. Pendant des années, il se contenta d'un job d'été à chaque grandes vacances, bien qu'il était en vacances pendant toute l'année. Ce ne fut que l'année de ses vingt ans qu'il se trouva une vraie profession. L'année où il emménagea dans son premier appartement. Bien que très fixée sur la religion, Marianne avait toujours laissé à ses enfants la liberté de vivre comme bon leur semblait. Du moins tant qu'ils ne reniaient pas Dieu et qu'ils se présentaient chaque dimanche à l'église.

Dix heures quarante-sept. Landon avait un peu trâiné dans la douche. Il devait maintenant se hâter pour être à l'heure au boulot, c'est-à-dire avant onze heures. Lui qui n'aimait pas se précipiter le matin, débutait mal sa journée. Il se regarda dans le mirroir. Ce dernier reflettait un homme fatigué, surement du aux folies de la veille. Ses cheveux, comme à leur habitude, n'en faisaient qu'à leur tête. Il avait une petite barbe naissante, d'environ trois jours. Il avait entendu dire que les filles raffolaient de cela. Landon aimait les belles femmes. Elles étaient son pêché mignon. Mais ce qu'il adorait encore plus que les femmes, c'était le plaisir qu'elles lui proccuraient. Sexe. Quattre petites lettres qui définissaient parfaitement son mode de vie. « Allez miss, il est temps de rentrer chez toi ! », dit-il en jettant ses vêtements à la figure de cette ravissante demoiselle. Un des plus grands défauts de Landon ? Son manque de respect envers ces séductrices, qu'il aimait tant. Il ne cherchait aucunement de la tendresse auprès d'elle. Juste du plaisir. En effet, ce n'était point à son habitude que de s'engager dans une relation sérieuse. Découvert, Wilcox s'empressa de se vêtir. Il n'était pas du genre à chercher pendant des heures quoi se mettre. Une chemise à carreaux, un débardeur blanc, un jean troué. Voila qui faisait l'affaire. Sa jeune 'amie' enfila également ce qu'on pouvait appeler une robe. Comment un bout de tissu, recouvrant à peine la poitrine d'une femme, pouvait-il se vendre aussi cher ? Elle quitta ensuite l'appartement. Quant à Landon, il repassa une dernière fois par la salle de bains afin de s'occuper de son hygiène dentaire et quitta le domicile à son tour.

Tic-tac, tic-tac. Les minutes passent sans que l'on ne s'en rende réellement compte. Il suffit d'un moment de bonheur pour que celles-ci paraissent être trop courtes. Il suffit d'un moment de malheur pour que celles-ci paraissent être trop longues. Une minute. C'est le temps qu'a mis le coeur de Joseph Wilcox pour s'arrêter. Soudainement. Brusquement. Devant les yeux ébahis de ses sept enfants. C'était le six août 1994. Sept ans après la naissance de ses deux benjamins, Landon et Blame, deux jumeaux. Ces derniers virent le jour en janvier de l'année 88. Ils étaient les petits garçons qu'avaient attendu si longtemps Joseph et Marianne Wilcox, fervents serviteurs de Dieu. Ils étaient les premiers fils de la famille après la naissance des cinq autres filles. Landon et Blame avaient toujours été les petits protégés de la famille, les plus jeunes, les plus prudes. Même coiffure, même dégaine, même petit sourire charmeur, mais pourtant, deux caractères distincts. L'un tenait le rôle du grand frère, lorsque l'autre jouait au roturier.

Ce six août 1994, toute la famille Wilcox était présente à l'hôpital où Joseph connut "ses derniers instants". Quelques heures auparavant, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les enfants étaient tous à l'école. Quant à Marianne, en bonne ménagère, elle préparait le repas du soir. Du moins c'est ce qu'elle faisait lorsqu'elle fut coupée par la sonnerie du téléphone. « Bonjour. L'hôpital général de St. Thomas-Elgin à l'appareil. Est-ce que je pourrais parler à madame Wilcox ? » Marianne hésita un court instant avant de répondre quoi que ce soit. Avait-elle manqué un rendez-vous ? L'un de ces enfants avait-il fait un malaise à l'école ? Que pouvait donc bien lui vouloir l'hôpital ? « C'est elle. Y a-t-il un problème ? » L'interlocutrice avait cette voix. Cette voix que l'on prend pour annoncer une mauvaise nouvelle. Cette voix que l'on prend pour annoncer quelque chose de grave. « Madame Wilcox, je suis désolée de vous déranger ainsi en fin d'après-midi, mais votre époux, Joseph Wilcox, a été hospitalisé, il y a de cela une heure dans notre hôpital. Il a succombé à un infarctus dont la raison nous est encore inconnue. Malheureusement, son pronostic vital est engagé. En ce moment, il respire artificiellement. C'est-à-dire à l'aide de machines. » La secrétaire laissa un temps de réflexion à l'épouse, surement accablée de chagrin, avant de continuer dans sa lancée. « Je suis réellement désolée, madame, mais nous avons besoin de votre signature pour le débrancher. » Les sanglots de Marianne se firent enfin entendre. Les larmes coulaient, et elle était incapable de prononcer ne serait-ce qu'un mot. Pour exprimer sa souffrance, elle hurla. Elle hurla de douleur, puis lacha le téléphone. La jeune dame au bout de l'appareil ressentit le déchirement de celle que l'on pouvait, dès à présent, appeler "veuve". « Madame Wil.. Madame ? Vous m'entendez ? Je suis déso.. Madame Wilcox ? » Bip, bip, bip. La secrétaire finit par raccrocher.
Quelques heures plus tard, Marie, Sarah, Elise, Phoebe, Rebecca, Blame et Landon étaient tous réunis autour de leur père. Tous, sans exceptions, sanglotaient. Ils étaient incapables de prononcer ne serait-ce qu'un mot. On pouvait tout de même voir dans leur yeux une lueur d'espoir. L'espoir que leur père, leur tant-aimé géniteur, rouvrirait un jour les yeux.

Arriva, le dix août 1994. Le jour où l'on libéra ce pauvre homme, prisonnier entre la vie et la mort. Où, cliniquement, il était considéré officiellement comme mort. Aujourd'hui, lorsque l'on demande à la famille Wilcox, quand cette tragédie est arrivée, ils répondent le six août 1994. Car dans leur religion, dans leur culture, on leur a appris que l'on peut appeler quelqu'un mort lorsqu'il n'est plus apte à respirer seul. Lorsque Dieu, l'a ramené au paradis, près de lui.

Aujourd'hui, Landon est un jeune homme heureux. Il ne s'est toujours pas remis de la subite mort de son modèle, cependant, il vit. Il sort les soirs, fait de nouvelles rencontres, séduit des femmes, et enfin, prie. Car même s'il touche aux substances illicites, se bourre la gueule, fait l'amour à des filles, pèche, Landon continue de croire en Dieu. Ses croyances n'ont pas changées. Il continue d'aller à l'église tous les dimanches, accompagné de ses cinq soeurs, de sa mère, et enfin de son cher frère. Cependant, aux yeux du monde, il est un enfant sage, innocent et propre. Vous l'aurez compris, il ne faut pas parler de ce qu'il fait de sa vie devant tout le monde. Et surtout pas devant sa génitrice et ses deux ainées. Car si ses trois autres soeurs et son frère le savent, le reste du monde l'ignore.

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