Les jolies bouclettes de ma mère se sont envolées, ses lèvres rosées se sont vues ornées de clopes et ses belles mains de bouteilles de bière. Radicale le changement. La honte, les regrets et d'autres choses j'imagine la grignotaient. Il faut dire qu'on était la risée du quartier mais on a jamais déménagé. On avait pas les moyens je pense. On vivait du boulot de serveuse de ma mère, elle refusait la pension alimentaire de mon père. Par fierté, sûrement, pour sauver le peu de dignité qu'il n'avait pas détruit. Moi je lui écrivais souvent des lettres mais je n'ai jamais eu de réponses, je rêvais qu'il venait me chercher mais il n'est jamais venu alors j'ai abandonné. J'ai grandis sous les coups autant physiques que verbales de ma mère, des gens de ma classe, des gens du quartier. Puis un jour, ça s'est estompé, ils se sont lassés ou bien le faite que je ne me laisse plus faire a eu son petit effet je sais pas trop. Sale gosse. Racaille. Enfant de mauvaise vie. Cas désespéré. Certes. Certes. Je m'enfichais de ce qu'ils pouvaient penser. J'avais un avenir devant moi. Ouais. J'allais faire carrière dans le sport, dans le basket ball. Oui baby ! J'étais plutôt bon et la saison des recrutements allait bientôt arriver. Bourse d'étude sportive, université de renommée, byebye Aylesbury Vale. Ma mère, ça la faisait bien rire, j'arriverais à rien selon elle, j'étais un bon à rien, un moins que rien, le fils de mon père, de la merde. Sauf que ben je suis son fils aussi mais je crois qu'elle a eu tendance à l'oublier, surtout quand elle me foutait à la porte dans ses grandes colères et que j'expérimentais le sommeil sur les trottoirs. Ma mère, on dirait qu'elle veut me pourrir la vie pour je ne sais pour quelle raison, fait exprès ou pas. En voiture pour me déposer au stade. Boom. Tonneau. Le mur. De la douleur. Mes jambes. Le noir. Je me suis réveillé dans la pièce blanche, seul. Oh non ! Vous inquiétez pas, ma mère, elle allait très bien. Pire qu'un virus, increvable. Elle s'en est tirée avec des côtés cassées, une canne à vie et d'autres trucs, à vrai dire je n'ai jamais vraiment su car elle n'est jamais venu me voir à l'hosto. Pas une seule fois. J'étais seul, derrière une vitre insipide, à pleurer mes jambes, à pleurer un avenir qui s'était envolé. Comme les tours de magie. Comme papa. Seize ans et déjà fêlé, écorché, usé.

Retrouver l'usage de mes jambes fut long, très long et douloureux. Des broches, des plâtres, des séances de rééducation, des opérations et tout cela seul. Ma mère elle s'en fichait. Dix-huit ans. La liberté, l'autonomie et mes jambes enfin. Tout dégringole. Drogue, alcool, vandalisme, gang, abandon de l'école, violence, rebellation. Une sorte d’exorcisme pour toutes ces années de silence, ma façon de fêter le retour de mes jambes. Je me défoule, rien n'est jamais assez beau pour oublier ce que je n'ai plus et que je n'aurais plus. Ma mère m'aide à creuser ma propre tombe « Tu m'as pourri la vie ! C'est à cause de toi que je boîte ! Tu ressembles à ton père, un merdeux comme lui ! Tu feras jamais rien de ta vie. Moins que rien. Tu n'apportes que du malheur et des problèmes, si tu pouvais disparaître comme ton père, tu ferais un cadeau à l'univers, surtout à moi ! etc... » Voilà. Tout ça ponctué de cris, de coups de canne dans le dos, dans la gueule, de mise à la porte sans envergure. J'ai fini par vivre dans des squattes, vivre des portraits que je dessine, vivre des chansons que je joue dans la rue, vivre de petits boulots, comme trier les déchets, coller des prospectus. Parfois, quand il fait trop froid, je rentre chez moi. On s'ignore mais jamais longtemps, il faut croire que rien que ma vue donne des boutons à ma mère, elle ne peut s'empêcher de m'enfoncer, me cracher son venin à la face. Alors on joue. Le jeu de celui qui fait le plus mal à l'autre. Et quand ça dégénère trop, que je sens que je risque moi aussi de lui rendre des coups, je m'en vais ou elle me fout à la porte et rebelote. Je retrouve ma vie dans la rue. Tout simplement

Au final, y'a pire mais y'a mieux surtout. A la longue, je m'y suis fait, je suis gorgé de colère mais je fais avec, j'accepte, c'est ma vie après tout et j'en ai pas d'autres. J'ai rencontré quelque filles qui ont été comme des trêves dans ma vie torturée mais ça n'a jamais duré alors j'ai fini par laisser tomber. Les filles d'un soir, j'ai appris à m'en contenter, même si ça laisse un goût amer, un goût de pas assez, un goût de vide. Puis y'a eu Faustine. La nana à l'accent français. La brune. La petite bourgeoise. J'ai été niais. Je me suis dit celle là, elle est différente des autres, c'est la bonne. C'était peut-être vrai au début. Elle est restée plus longtemps que les autres, oh vachement plus. Trois années. La bourgeoise et le squatteur. Le ver de terre et l'étoile. L'ange & le démon. C'était bien, c'était loin d'être parfait mais j'étais bien, presque heureux. Presque. On était différent mais on était amoureux, je crois, je pense. Elle était comme du baume à mon âme...Avant qu'elle devienne de l'acide. Comme tout le monde doit s'en douter, ça s'est brisé. Crac. Du jour au lendemain, elle est juste partie. Du néant. « C'est fini, je te quitte » Sur un bout de papier déchiré, rabougri. Ah ? Bon d'accord. Pétasse. Pas si différente des autres. Pas la bonne du tout. C'était tout ce que cette relation avait mérité comme aurevoir, comme explication, un vieux bout de papier. Ok. On ne sait pas ce qu'est la perte, une réelle perte car on ne le comprend qu'une fois qu'on a aimé quelque chose plus que soi-même et qu'on l'a perdu. Alors j'ai promis de ne plus jamais retomber dans le panneau. Le ver de terre, il est retourné sous terre et promet de ne plus retourner voir les étoiles. J'ai promis qu'on ne m'aura plus, que je ne remettrais plus ma tête dans la gueule du serpent. J'ai léché mes plaies, panser mes blessures et puis je me suis relevé, en tout cas j'ai essayé. Je traîne ma carcasse le long de la vie. Comme ça. Je vis plus. Je survis. Seulement voilà, je ne suis pas au bout de mes surprise. Oh non. Non.

Pour oublier le spectre de Faustine, j'ai arpenté les rues, cherchant toujours plus gros poisson que moi, leurs poings qui se fracassent sur mon corps, ça m'indique que je suis encore en vie alors que quelque part, je ne me sens plus en vie tout court. C'est peut-être pour ça, qu'à cette soirée, perdu dans une marée de personne inconnue, je l'ai vu elle. Comme si elle était paumée comme moi dans ce flot de corps humain. Peut-être qu'à cette seconde, j'ai eu l'impression qu'elle appréhendait de la même manière que moi la vie. Alors je lui ai pris la main, j'ai lâché mon prénom et ce fut tout ce que je lui ai dis de la soirée. J'avais rien à perdre. Alors pourquoi pas ? D'habitude, j'engage la discussion, prend la peine de connaître leurs noms mais ce soir non. J'en sentais pas l'importance ni l'envie. Puis y'a eu le lendemain, entre deux eaux. La terre bougeait plus que d'habitude alors je suis resté couché, à ne plus bouger, immobile, seul mon torse qui se soulève au grès de mes expirations et inspirations. J'ai attendu en silence qu'elle se réveille. Et comme je le souhaitais au fond de moi, elle est partie en catimini sans demander son reste. Quand la porte a claqué, j'ai refait surface. J'ai compris alors que les femmes me dégoutaient et que j'en pouvais plus d'elles, à tel point que j'en avais perdu du respect pour elles et que tout ce que je voulais, c'est de ne plus avoir à faire avec elles. Quelque part, cette inconnue aux yeux lagons serait la dernière que j'aurais calé dans mes bras, à qui j'aurais offert un tant soit peu de tendresse. Il n'y en aura plus. Je condamne cet accès. Si j'avais su que j'avais raison... Un mois s'écoule. La vie ou un truc du genre reprend. Au seuil de mon squatte, elle est là, droite comme un i, son regard planté dans le mien. Elle dit mon nom. C'est une preuve qu'elle me connaît. Moi, elle me dit quelque chose, je plonge mon regard dans le sien et je me souviens de suite. C'est dingue ce qu'un regard peut faire. Je sais pas trop ce qu'elle fout ici, elle s'est peut-être paumé mais on dirait un ange en enfer, c'est pas un monde pour toi ici, tout le monde la dévisage et je sais que certains bondiraient pour la dévorer presque. Elle ouvre la bouche mais moi, tout ce que j'ai entendu c'est mon univers qui s'effondre à mes pieds. « Putain...Tu peux répéter ? » Boom. Crac. Black out. Déconnexion. Zephran - 0 Le destin - 1